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25 septembre 2011 7 25 /09 /septembre /2011 18:42

Je vais terminer de vider mes fonds de tiroirs, de publier ici les notes que j’avais prises pendant ma dernière année au collège. Ces notes concernent une période assez courte, de septembre 2009 à février 2010. Certaines portent, non sur mon métier lui-même, mais sur des sujets que j’estime liés.

Je n’ai pas édulcoré, je n’ai pratiquement rien retranché de ce journal. J’ai juste biffé quelques passages relatifs à ma famille, et une ou deux phrases qui révélaient trop crûment l’intimité de mes rapports avec les collègues. En revanche j’ai gardé des phrases dont la relecture m’a fait honte, mais qui expriment de façon exacte mes sentiments et mes pensées d’alors.

Il y aura douze épisodes.

 

Septembre 2009.

Entendu dans le bus : « Tu sais, les responsables de la crise, les banquiers, là, on devrait les tuer. On devrait pouvoir leur dire : 'ce qui se passe, c'est par ta faute, pas question que les autres morflent pour toi.' Et on les tue. » -A la caisse du supermarché : « Mais faut pas être si pressé monsieur. On est toujours pressé dans la vie, mais personne n'est jamais pressé pour mourir, alors qu'on y passera tous, qu'on finira tous exactement de la même façon." -L'humeur du pays me paraît un peu dépressive.

 

Une histoire entendue par Ioana dans un stage de « formation au dialogue interculturel » (ou quelque chose d’approchant, je n’ai pas retenu l’intitulé exact). -Dans l’une des petites classes d’une école primaire, deux enfants portent le même nom et se disent frères ; mais tandis que l’un est bien habillé, propre, et a toujours dans son cartable les affaires demandées, l’autre porte des loques, ne sent pas bon et son cartable est vide –quand il en a un. Un jour, la maîtresse les retient dans sa classe au moment de la récréation et, pour en avoir le cœur net, leur demande la raison de cette inégalité. Alors le petit pouilleux répond fort clairement : « C’est parce que lui, c’est le fils de la nouvelle. » Papa avait en effet pris une nouvelle épouse, sans se donner la peine, comme on le voit parfois, de répudier la précédente ni de la renvoyer au pays : il vivait paisiblement bigame, en abritant sous le même toit ses deux femmes et ses deux filiations. Mais il ne se retenait pas de marquer sa préférence pour la plus jeune et pour le fruit de ses amours avec elle. Entre une vieille vache de quarante ans déformée par les grossesses et le travail domestique, et un tendron tout juste expédié du bled...

Lors de ma première année au collège, j’avais été impressionné par le nombre d’élèves qui n’avaient plus leur père. Avec ce qui me restait de compassion socialiste, je me disais alors que ces hommes avaient été emportés avant l’âge par la rudesse de leur existence ; je pensais aussi que certains des prétendus orphelins me servaient sans doute pour m'attendrir le même mensonge qu’Antoine Doisnel. C’est l’infirmière qui m’avait détrompé : elle travaillait depuis longtemps en banlieue, en était elle-même issue, et avait le regret de m’apprendre que tous ces hommes morts alors que leurs enfants entraient à peine dans l’adolescence étaient bien souvent des messieurs qui s’étaient remariés avec une jeunesse une fois leur première épouse usagée. Ils approchaient bien souvent et dépassaient parfois la soixantaine quand naissaient leurs derniers enfants. L’avenir de ces derniers était bien incertain, mais les patriarches de HLM ne paraissaient pas s’en préoccuper outre-mesure. Ils avaient fait bonne figure jusqu’au bout, avaient engendré une ribambelle de petits musulmans ; pour le reste, inch’Allah.  

 

Nouvelles de trois anciens élèves : Nourredine Basso est en prison pour une raison inconnue ; Jean-Paul Nivôse aussi, pour une tentative de braquage à La Rochelle ; Vincent Mayeur a séquestré une vieille dame et, comme elle refusait de lui donner le code de sa carte bancaire, il lui a coupé un doigt. Il est en détention préventive.

Toujours aucun ancien à l’ENA.

 

En sortant de la cantine, je repère un garçon qui en frappe un autre. La victime rit ; ils jouent. Mais ce genre de jeu dégénère souvent et je m’approche.

   « Non mais ça va ? Tout se passe bien ? On peut participer ?

   La victime. -Y m’bolosse, msieu. (hilare) Punissez-le.

   Moi, au cogneur. -Comment tu t’appelles ?

   Le cogneur. -Albert Camus.

   Moi. -Comment ?

   Le cogneur. -Camus Albert.

   Moi. -Tu te fous de ma… tu te moques de moi ? Ton carnet.

   Camus Albert. -J’l’ai pas. »

En réalité, je connais le nom du garçon, qui est une véritable célébrité locale. Il s’appelle Lewis Petite et c’est un cancre du genre « ingérable-rigolo ». Un peu dingue, aussi. On m’a dit qu’en cours, il change régulièrement de voix, et que quand on lui adresse la parole, on ne sait jamais laquelle va vous répondre. 

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