Soirée du 25 décembre. Tant de viande mangée. Je dois sortir et marcher. La nuit tombe, il fait doux et humide, le vent souffle en rafales suivies de calme plat. Les rues de la ville sont totalement désertes si l’on excepte de rares réveillonneurs en retard, deux ou trois promeneurs de chiens et moi-même. Hors de cette nomenclature je ne vois qu’une jolie fille sortie fumer au pas de sa porte, surgie devant moi sur le trottoir et que je frôle. On échange un regard, elle est jolie et paraît flotter entre deux ennuis, on pourrait se parler mais on ne le fait pas. Derrière les rideaux la population réfugiée devant des sapins qui clignotent ou, plus souvent, dans les faisceaux blancs d’écrans géants. La ville nocturne est pleine de lumières étranges : lampadaires à gros bulbes oranges, illuminations suspendues sur les boulevards et guirlandes qui se balancent dans le vent, mise en lumière patrimoniale du tour de la grand place, marché de Noël abandonné mais teint par des spots aux couleurs écoeurantes, lune intermittente, vitrines assurant durant cette courte trêve la veille perpétuelle de l’activité commerciale (au fond de l’unique boulangerie ouverte, qui ne vend que des bûches ramollies, une pauvresse se chauffe devant les fours). La pierre grise du vieux beffroi est tatouée de couleurs vives par une batterie de projos, on dirait une pute chinoise qui exhibe son dos plein de dragons et de fleurs tropicales pour affoler le micheton.
A la gare, les voyageurs au départ ont l’air de rescapés tout heureux d’attraper le TGV de Paris. Une fois celui-ci parti il ne reste qu’un gros train régional qui vrombit doucement sur une voie latérale. Les wagons sont éclairés mais il n’y a personne à leur bord ; le téheuère ne bougera sans doute pas ce soir et je ne comprends pas pourquoi son moteur tourne. Je monte et descend les quais pour prendre quelques vues, je monte sur la passerelle qui enjambe les voies et permet de se rendre là où je ne veux pas aller. Je ne suis absolument nulle part, c’est photogénique et ça me plaît. N’importe qui pourrait sortir du noir : mon père, Jésus, la mort. Mais je ne croise qu’un type maigrichon et pressé. Le crachin vient, puis la drache.