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21 décembre 2012 5 21 /12 /décembre /2012 23:25

Une amie qui déménage me laisse des plantes de sa terrasse. Parmi elles, un arbuste en pot, sans doute un forsythia. Sur mon balcon il est rapidement évident qu’il va mourir : le soleil lui manque, et de toute façon ses racines débordent du pot, à la recherche désespérée d’un terreau qu’elles n’y trouvent plus. Je prends ce végétal en pitié et décide de la replanter dans un terrain vague proche de chez moi, un ancien jardin racheté par la mairie qui a fait le choix de laisser la nature y reprendre ses droits. L’endroit est beau : un vieux frêne couvert de lierre, mangé de gui ; un fruitier magnifique aux énormes branches moussues ; un saule, des haies hirsutes. Entre les arbres, le gazon hésite encore à devenir une prairie. Je me mets au travail. Je suis ému car je n’ai plus planté d’arbre depuis l’enfance. J’avais fait germer un marron de ma cour d’école et je l’avais mis en terre au fond du jardin de mes grands-parents. En deux ans sa taille dépassait la mienne. -Inexpérimenté, j’ai acheté une pelle pour l’occasion, alors qu’il aurait fallu une bêche, et creuser un trou assez large et profond me donne du mal. Sous une mince couche d’humus grouillant de vers gras comme des boas, la terre est argileuse et pleine de caillasse ; le fer de la pelle cogne à chaque effort sur des silex, des blocs d’un minéral calcaire. Je trouve aussi de petits objets métalliques, clous, fils de fer, et des débris minuscules d’une vieille vaisselle de faïence bleue. L’esprit travaille aussi : je creuse ma tombe, je commence la tranchée où je passerai quatre ans de guerre, je cherche un trésor, je découvre des vestiges rêvés par tous les archéologues du monde. J’écris un livre qui ne serait rien d’autre que le compte-rendu du creusement d’un grand trou, de la visite rétrograde de toutes ces strates et de ce qu’y trouve le terrassier : lui-même, sans doute. Il pleuvine et ça caille. J’ai de la boue jusqu’aux genoux. Les muscles de mon dos tirent et ma paume droite chauffe au rouge. Mais je me sens si bien. Ma peau fume et colle mes habits, je chante. Voilà, le trou est fait. Je vais au bord de la rivière pour dépoter l’arbuste. Il est si serré dans sa carapace que quand je parviens enfin à la faire glisser, les racines en conservent la forme exacte, ne laissent tomber en poudre qu’une poignée de terre morte. C’est à se demander comment il a pu survivre. La pensée que je le sauve (que je la sauve de la mort par la faim) est bonne comme un vieil armagnac. Je trempe longuement la motte dans l’eau brune. Bois, mon pauvre, bois. Puis je retourne à mon trou. Pose de la plante, pelletage de terreau mêlé de l’argile locale. J’essaie d’atténuer les traces de mon passage, mon piétinement dans la boue, avec des touffes d’herbe et des feuilles mortes. Je dis une prière pour ce vivant : Seigneur, donne à l'arbre de grandir, de faire sève, feuille et fleur et racine, afin qu’il puisse lui aussi te rendre grâce comme moi en ce moment. Amen. Puis je rentre, et le temps passe. Je pense souvent à lui. Je me figure la pluie tombée et la matière qu’il absorbe dans le secret du sol, j’attends le printemps pour lui, pour la joie de le voir reverdir. J’en suis presque plus proche que de gens à qui pourtant je dis « bonjour, comment ça va ? » Je vois son débordement de pétales jaunes, que je photographierai à l’intention de son ancienne propriétaire. Je n’ose pas encore retourner le voir.

 

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Il y a quelques jours j’ai osé. Quelqu’un avait tenté de l’arracher en tirant comme un fou sur la branche principale. Celle-ci est cassée. Beaucoup de racines apparaissent et certaines semblent avoir été sectionnées délibérément. J’éprouve de la colère, puis du chagrin, puis je me résigne. Le résidu de ces humeurs est un certain sentiment de solitude. Bonjour, comment ça va ? 

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commentaires

C
<br /> http://youtu.be/CERgbUWMmkU<br /> <br /> <br /> :-)<br />
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